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Jean-Marie Demaldent-1

Jean-Marie Demaldent

Université de Paris Ouest-Nanterre

 

La laïcitÉ kÉmaliste confrontÉe À la dÉmocratisation de la Turquie

 

 

 

Par une révolution "par en haut", Mustafa Kemal a instauré la laïcité pour construire un Etat-Nation moderne turc à la place de l’Empire ottoman islamique, multicommunautaire, à prétention universelle. Il a imposé un laïcisme radical au nom de ce qu’on appelle les "six flèches" du kémalisme: «républicanisme, nationalisme, laïcisme, révolutionnarisme, populisme et étatisme».

A la différence de la "sécularisation" de l’Etat et du respect des libertés, la laïcité n’est pas un principe moderne universel. Ces principes n’existent d’ailleurs jamais tout nus mais revêtus d’habits particuliers. On verra que la laïcité kémaliste est très différente de la laïcité française à laquelle elle a emprunté le nom. Elle rejette certes la religion dans la sphère privée; mais l’Etat intervient sur la religion pour la turcifier et la moderniser (I,1).

Ce laïcisme radical était incompatible avec la démocratie libérale et impliquait un régime autoritaire à parti unique de l’oligarchie bureaucratico-militaire. A terme, l’interdiction des Confréries soufies qui relevaient de la société civile a cependant largement échoué (I,2).

Une laïcité assouplie a pu se maintenir lors de la démocratisation des années 1950-1974, malgré l’ascension au pouvoir d’élites plus périphériques et civiles soutenues par l’électorat anatolien rural et pieux (II,1).

L’ampleur de l’exode rural et le "choc pétrolier" qui a plongé le modèle de développement turc dans sa crise finale (1974) ont fait apparaître des mouvements non kémalistes de gauche et de droite, dont un parti se réclamant de l’islam qui s’est implanté dans l’appareil d’Etat à la faveur de sa participation à des gouvernements de coalition, jusqu’au coup d’Etat militaire de 1980 (II,2) qui a préparé le triomphe actuel d’un islam conservateur et libéral, beaucoup plus que la consolidation du "kémalisme" dont il se réclamait, réalisé sous la direction civile de Turgut Özal (III,1).

Aujourd’hui, le parti A.K.P. – scission de partis qui se revendiquaient de l’islam politique et ayant rompu avec eux –, se réclamant de la candidature de la Turquie à l’U.E. et d’un conservatisme démocrate, gouverne depuis 2003 avec une majorité absolue. Il a résisté à cinq ou six tentatives de coups d’Etat militaires ou de ce qu’on appelle "l’Etat profond" et il a réussi à limiter le prestige et les privilèges d’Etat dans l’Etat de l’Armée. Ce sont d’ailleurs surtout ces privilèges que l’Armée défendait lors de ses coups d’Etat antérieurs accomplis au nom du kémalisme et de la laïcité. Une nouvelle idéologie impose son hégémonie, celle dite de "la synthèse turco-ottomane" que partageait le général Evren, auteur du coup d’Etat de 1980, mais largement élaborée auparavant par les cemaats soufies: un discours exaltant l’esprit d’entreprise, les sciences et les techniques, très à l’aise dans la "globalisation" libérale, se réclamant de la "vraie laïcité" contre le "laïcisme" et de l’"ataturkisme" (Atatürk signifie "père des Turcs") à la place du "kémalisme" (III,2).

 

 

I,1. – Pendant la "guerre de libération nationale", Mustafa Kemal déclarait combattre pour libérer le Sultan-Calife du joug des occupants "infidèles". L’ouverture à Ankara de la Grande Assemblée Nationale a été précédée d’un imposant cérémonial religieux. La Constitution de 1924 proclamait l’islam religion d’Etat. Cet article a disparu de la Constitution de 1928, mais la laïcité n’a été inscrite dans la Constitution qu’en 1937, un an avant la mort de Kemal.

L’objectif était d’abord "nationaliste": créer un Etat-Nation en Thrace et en Anatolie, rompant avec toutes les conceptions impériales (ottomaniste, panislamiste ou panturquiste); une République turque, dont les citoyens seraient turcs et rien que turcs; donc rejeter l’islam dans la sphère privée, abolir le Sultanat mais aussi le Califat, les tribunaux religieux et imposer le monopole de l’Etat dans l’éducation. Mais il fallait aussi turcifier et moderniser l’islam, donc instaurer le contrôle de l’islam par l’Etat.

L’objectif différait de celui que poursuivait la modernisation ottomane au XIXe siècle: dans un empire islamique à prétention universelle fondé sur le multicommunautarisme, passer de l’inégalité traditionnelle entre musulmans et les communautés de non-musulmans inférieurs (chrétiens, arméniens, juifs…), à l’égalité en droit, tout en conservant le multicommunautarisme confessionnel ("système des millets") dont dépendait le statut personnel. Après le "génocide" de 1915 et l’échange des populations réalisé avec la Grèce, les non-musulmans ne représentaient plus qu’une infime minorité. Le problème était de réaliser la révolution nationale et la modernisation par en haut, en organisant l’islam par l’Etat (le "diyanet" ou direction des cultes), en formant les imams dans des "imam-hatips" d’Etat et la Faculté de théologie d’Ankara, en fonctionnarisant plus étroitement qu’auparavant les imams.

Si Kemal a rejeté l’islam dans la sphère privée, on voit que la laïcité à la turque n’a pas beaucoup de rapport avec la séparation de l’Eglise et de l’Etat français, même si elle lui emprunte le concept. Il ne s’agit pas principalement d’assurer la liberté de conscience et de culte, mais de construire la nation turque et la République. Nous n’évoquerons pas ici le problème de la liberté et de l’égalité entre les musulmans sunnites et les alevis pour ne pas alourdir l’exposé.

La "turcification" de l’islam osera imposer l’appel à la prière en turc, en désignant Allah par Tanrï, le nom du Dieu Ciel des Türüks chamanistes d’Asie Centrale au VIe siècle. La modernisation kemaliste illustre la flèche du "révolutionnarisme" par son radicalisme: code civil suisse, calendrier grégorien, repos le dimanche, abandon de l’alphabet arabe sacré, interdiction du turban et du fez. Non contente d’être laïque, la République a été "laïciste", stigmatisant les "ténèbres" des superstitions religieuses ottomanes.

L’islam populaire ottoman était surtout un islam soufi, affaire de multiples Confréries (Tarikat) très diverses, plus ou moins hétérodoxes qui relevaient de la société civile; à la différence de l’islam d’empire et de ses imams, ulemas, cadi et müfti. Profitant de la mobilisation nationaliste turque contre le soulèvement séparatiste kurde de 1925, dirigé par un cheik Nakshibendi qui appelait au rétablissement du Califat, Mustafa Kemal a interdit les Confréries.

 

 

I,2. – Ce laïcisme radical était incompatible avec la démocratie libérale, exigeait la dictature de l’oligarchie bureaucratique et militaire et le parti unique, le Parti Républicain du Peuple (PRP), un parti unique de type "exclusionnaire"[1] ne cherchant pas à mobiliser les masses pour qu’elles participent à la modernisation comme le font les partis "révolutionnaires", mais plutôt à maintenir leur passivité sous la direction d’une élite militaro-bureaucratique.

Il serait néanmoins faux d’imaginer l’Armée turque comme un bloc laïc sans faille, ce que l’armée veut faire croire, et contrairement à la façon dont on se la représente en France. Quand Kemal a interdit les Confréries, il a en même temps procédé à la dissolution et à la répression du Parti Républicain Progressiste fondé par certains des chefs militaires les plus prestigieux de la guerre de Libération Nationale, dont le général Kasïm Karabekir, sans lequel Kemal n’aurait pas pu prendre la tête du mouvement national. Il s’agissait d’anciens "Jeunes Turcs" pas vraiment favorables à l’abolition du Califat, parce qu’elle aurait limité l’influence de la Turquie dans le monde et parce qu’ils pensaient que l’islam représentait un trait constitutif de l’identité turque.

A long terme, l’interdiction des Confréries s’est soldée par un échec. Certaines Confréries, surtout orthodoxes, ont réussi à perdurer clandestinement en se transformant et en renonçant à leur organisation très disciplinée en cercles concentriques. Saïd Nursi, à l’origine des Nurcus, a été le premier à organiser une "Cemaat" (communauté) moderne en s’en tenant aux réunions régulières de lecture et de discussion (dershane) dans des locaux privés de son œuvre, le "Livre de la Lumière", en principe favorable aux sciences. Les musulmans pieux ne faisaient pas confiance à l’islam de l’Etat laïc. Rapidement, les imam-hatips et la Faculté de théologie ont été fermés, moins par un excès de radicalisme et plutôt faute de recrutement. La formation religieuse a été l’affaire des cemaats semi-clandestins plus enfouis que jamais dans les profondeurs de la société civile.

Il ne faut pas croire à l’opposition propagandiste du kemalisme des "lumières" aux "ténèbres ottomanes". La modernisation ottomane a battu son plein, notamment l’éducation scientifique et technique sous la dictature d’Abdül Hamid II qui imposait en même temps l’enseignement de la religion, s’entourait d’imams, était lui-même un kadiri pieux et colorait l’"ottomanisme" de "panislamisme". Les "Jeunes Turcs" qui l’ont contraint à abdiquer étaient favorables à une forme panislamiste de l’"ottomanisme" et au Califat. Ils ont approuvé la proclamation du Jihad par le Calife en 1914, même s’ils se réclamaient d’Auguste Comte et d’Emile Durkheim. L’idéologue du C.U.P. Jeune Turc, partisan du "panturquisme", Ziya Gökalp, faisait de l’islam une composante essentielle de l’identité culturelle turque.

Mustafa Kemal ne concevait pas le parti unique comme un dogme. Il a souhaité la création d’un parti d’opposition plus libéral mais contrôlé, capable d’exprimer les mécontentements en les canalisant à l’intérieur du kémalisme et de la laïcité. Il a demandé à son ami Fethi Bey de fonder en 1930 le Parti Républicain Libéral en lui en fournissant les moyens.

Une vague de contestation religieuse s’est engouffrée dans cette brèche et a débordé Fethi Bey lors de la campagne pour les élections locales de 1930. Accueilli en sauveur à Izmir par des foules en délire, Fethi Bey a été interdit de discours par le gouverneur et il s’en est suivi de graves affrontements. Toute l’Administration s’est mobilisée pour le triomphe électoral de l’ancien parti unique. Conscient de son incapacité à canaliser l’opposition à l’intérieur de la laïcité, Fethi Bey a lui-même dissous le P.R.L. Peu après, sous prétexte de la découverte d’un complot à caractère religieux (Menemen), la répression s’est déchaînée, suivie d’élections très contrôlées.

 

 

II,1. – En 1945, Ismet Inönü, le successeur de Kemal prend acte de la victoire des démocraties libérales et décide d’accepter le principe d’élections pluripartisanes au suffrage universel direct et non plus à deux degrés comme auparavant. Le Parti Démocrate (D.P.), scission de l’aile critique du P.R.P., est fondé. Les premières élections ont été faussées par l’Administration; mais le Parti Démocrate triomphe en 1950. L’ouverture démocratique a promu des élites politiques plus périphériques et civiles, limitant l’ancienne domination des élites bureaucratico-militaires; elle a assoupli la laïcité. Inönü avait déjà introduit des cours de religion facultatifs à l’école; le Parti Démocrate décidera qu’il faut faire une demande non plus pour en bénéficier, comme auparavant, mais pour en être dispensé. Il rétablit l’appel à la prière en arabe. Les écoles d’imams rouvrent et recrutent.

Cette ouverture démocrate et cet assouplissement de la laïcité n’ont pas suscité de débordements anti-laïcs. Après une période de prospérité au début des années 1950, le Parti Démocrate l’a encore emporté en 1954 et en 1957. Le Président de la République, dernier Premier Ministre du vivant de Kemal, Celal Bayar, s’est efforcé de ne pas admettre de débordements. Issu d’une scission de l’ancien parti unique, le Parti Démocrate était un parti laïc et kémaliste. Du passé, il avait conservé des réflexes autoritaires. Il a notamment fait interdire un parti se réclamant de l’islam, moins par laïcisme et plus pour éliminer un concurrent dans l’électorat rural et pieux contre le P.R.P. laïciste, urbain et centraliste. Ce n’est que dans les derniers moments avant le coup d’Etat militaire de 1960, quand la situation économique s’est dégradée et que montait le mécontentement, que le Premier Ministre, Adnan Menderes, a manifesté du laxisme dans l’application des lois laïques.

Le coup d’Etat militaire de 1960 s’est drapé dans le kémalisme et la sauvegarde de la laïcité menacée. Mais il a eu surtout pour but de rétablir le prestige et les privilèges de l’Armée, face au personnel politique plus civil et à l’ascension sociale d’élites dominantes plus marchandes.

Des officiers se réclamant pour les uns d’un kémalisme "progressiste" anti-impérialiste, comme Aydemir, ou au contraire d’un panturquisme de droite, comme le colonel Türkesh, futur leader de l’extrême-droite, ont été à l’origine de ce coup d’Etat. Le chef de l’armée de terre, le général Gürsel, a décidé d’en prendre la tête pour éviter une division dramatique de l’armée. Alors que les initiateurs de gauche et de droite étaient pour un régime autoritaire, il souhaitait un retour rapide au gouvernement civil. Pour imposer cela à la junte, il s’est appuyé sur un mouvement civil d’universitaires et d’étudiants démocrates. Si bien que ce coup d’Etat, dont ce n’était pas le but, déboucha sur la Constitution de 1961, la plus démocratique que la Turquie a connue, que les militaires des coups d’Etat ultérieurs critiquèrent comme un "luxe" au-dessus des moyens de la Turquie. Cette expérience paradoxale est à l’origine du mythe, entretenu par la propagande et largement cru à l’étranger, de l’Armée turque kémaliste sauvegarde de la laïcité. Il a été créé le Conseil de Sécurité Nationale (M.G.K.), dominé par les militaires, ayant le droit d’imposer des injonctions obligatoires au gouvernement, exerçant une véritable tutelle sur la société.

Pendant les années 1960, caractérisées par la domination du Parti de la Justice (A.P.) – dirigé par Suleyman Demirel – qui a succédé, en plus bourgeois, à celle du Parti Démocrate interdit, la laïcité assouplie n’a pas été remise en cause. Elle n’a pas été l’enjeu du coup d’Etat militaire de 1971, provoqué par la menace de la montée des luttes syndicales et grévistes et une contestation de l’impérialisme américain. Mais il s’est réclamé de la doxa kémaliste de la laïcité.

 

 

II,2. – Dans les années 1970, l’exode rural bouleverse le paysage politique. Comparé à celui que l’Europe occidentale a connu à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, l’exode rural en Turquie, beaucoup plus brutal et étendu sur une longue durée, évoque la différence entre les chutes du Niagara et le compte-goutte. Istanbul gagnait à peu près 300.000 habitants par an et ce phénomène concernait bien d’autres villes. Les Turcs pieux d’Anatolie "ruralisent" les villes dont les habitants urbanisés depuis plusieurs générations sont noyés dans un océan de "paysans dépaysannés" qui transfèrent à la ville des solidarités et des croyances de leurs régions d’origine, en même temps qu’ils les adaptent pour se confronter aux conflits urbains et de la société industrielle. Les migrants doivent, par exemple, renforcer la solidarité familiale, parce qu’elle est indispensable pour se loger, trouver un emploi ou fonder un commerce, etc., alors qu’elle est menacée par l’éclatement de la famille élargie d’origine: une partie reste à la terre, d’autres parties émigrent hors de Turquie ou dans différentes villes de Turquie, ou différents quartiers d’une mégapole incohérente comme Istanbul; en même temps, il leur faut participer aux luttes syndicales ou politiques et suivre un enseignement scientifique et technique.

Des mouvements se réclamant d’idéologies non kémalistes se développent et s’affrontent. Necmettin Erbakan organise un parti musulman hostile à la laïcité; le Parti Ouvrier Turc et ses scissions "gauchistes" préconisent la révolution socialiste; le colonel Türkesh et ses milices de Loups Gris unifient une extrême-droite panturque.

En 1974, le "choc pétrolier" qui précipite le processus de ce qu’on appelle la "globalisation" du capitalisme plonge la Turquie dans un chaos de longue durée. Il enterre le modèle de développement autocentré, protectionniste et dirigiste, en suscitant d’énormes dégâts sociaux. Les extrémistes de droite et de gauche s’affrontent dans la violence. Alors que le rapport des forces est défavorable à l’extrême-gauche, ses différents groupes se combattent entre eux, en principe à propos des controverses théoriques du marxisme-léninisme, mais en réalité ces conflits reflètent de façon invisible des allégeances et croyances issues des campagnes (Turcs et Kurdes; sunnites et alevis; Nakshibendi et Nurcu; différents clans régionaux, etc.) pour le contrôle des rues des "gecekondu", c’est-à-dire des banlieues auto-construites; des conflits devenus impensables dans la langue politique moderne marxiste-léniniste adoptée par les migrants d’extrême-gauche.

Le Parti du Salut National (P.S.N.) d’Erbakan a d’abord participé au gouvernement du P.R.P. d’Ecevit qui a gagné les élections d’après le coup d’Etat de 1971 en prétendant se transformer en parti "social-démocrate", mais sans disposer de la majorité absolue. Pour ce faire, il a dû concéder le droit pour les élèves issus des imam hatips d’accéder aux Universités – une réforme qui s’avérera avec le temps très lourde de conséquences – et laisser à des membres du P.S.N. des ministères très importants. Très populaire après l’intervention turque à Chypre en 1974, Ecevit a rompu l’alliance en pariant sur une dissolution qui n’aura pas lieu pour renforcer sa majorité; et il s’est retrouvé face à une coalition de la droite et de l’extrême-droite. La situation s’est dramatiquement tendue. Après les élections de 1978, Ecevit est parvenu à constituer un nouveau gouvernement qui sera très éphémère, miné par une inflation catastrophique et un chômage massif. A nouveau, une coalition du Parti de la Justice avec Erbakan et Türkesh gouverne. Pendant cette période, en un temps record, le P.S.N. d’Erbakan s’est implanté dans l’appareil d’Etat, en particulier au sein du diyanet et de l’éducation nationale. Les écoles d’imams ont littéralement proliféré. Mais de vives tensions se sont manifestées dans le Parti pour diverses raisons. Le choix de l’industrialisation par Erbakan suscitait la méfiance des traditionalistes; des rivalités ont éclaté entre Nakshibendi et Nurcus. L’organisation autoritaire du Parti exigeant l’allégeance au chef charismatique suscitait des difficultés dans la mesure où le parti tendait à se substituer aux cemaats, etc.

Le coup d’Etat militaire de 1980 du général Evren, beaucoup plus répressif que les précédents et étalé sur une beaucoup plus longue période, mit fin à ce chaos de façon très violente.

 

 

III,1. – Le discours du général Evren se réclamait du kémalisme et de la laïcité, mais il n’avait rien de "laïciste". Sous sa direction, l’idéologie dite de la "synthèse turco-ottomane" se réclamant du nationalisme et de l’islam s’est installée et devient dominante. Le général a qualifié publiquement l’islam de "religion la plus rationnelle" du monde, sans doute parce qu’elle constituait un rempart très efficace contre les menaces que combattait au premier chef le coup d’Etat: la subversion sociale et le séparatisme.

D’abord chargé des finances et de l’industrie après le coup d’Etat, le Premier Ministre, qui devait assurer le retour à la vie civile et imposer le tournant libéral et extraverti à l’économie pour l’adapter à la "globalisation", n’avait rien d’anti-occidental, à la différence d’Erbakan. Ingénieur de formation, il a été employé à la Banque Mondiale à New York et c’est lui qui a de nouveau fait acte de candidature de la Turquie à la C.E.E. (1987). Sa femme n’était pas voilée, à la différence des épouses et des filles des dirigeants actuels de l’A.K.P. Mais il était Nakshibendi (d’Iskenderpacha), disciple de Cheikh Kotku puis proche de son successeur, Esat Cochan, comme son frère, ancien ministre de l’Intérieur P.S.N. du gouvernement Ecevit. Il avait été candidat du P.S.N. à Izmir avant de rompre comme d’autres, en 1977, avec Erbakan. Premier Ministre, il a effectué le pèlerinage à La Mecque, un précédent inédit dans la République. Le parti qu’il a créé, Anavatan Partisi (A.N.A.P.), était largement soutenu par des cemaats sans être en rien un parti islamiste ou même musulman.

Il a favorisé l’éclosion d’une nouvelle bourgeoisie de P.M.E. anatoliennes, très différente de la grande bourgeoisie occidentale de l’époque de l’étatisme, en général très pieuse et proche des réseaux soufis, en particulier en ouvrant les portes de la Turquie aux banques islamiques du Golfe. A cette époque, se sont constitués les "Tigres anatoliens" qui se sont rassemblés en 1990 dans une organisation d’hommes d’affaires concurrente de la T.Ü.S.I.A.D. (Association des industriels et des hommes d’affaires turcs), la M.Ü.S.I.A.D., proche des cemaats, se réclamant d’une éthique professionnelle musulmane fondée sur la solidarité, la loyauté et un islam éclairé.

En 1982, les "cours de religion" deviennent obligatoires dans les écoles. En 1983, une loi sur les fondations de bienfaisance ressuscite les Vakïf (Fondations pieuses) ottomans et permet aux cemaats de développer d’immenses réseaux d’organisations sur toutes sortes d’objets. Özal a également autorisé l’ouverture d’écoles privées qui ont permis aux cemaats de créer des écoles, en particulier les disciples de Fethullah Gülen. Il a même autorisé le port du voile à l’Université, décision annulée par la Cour constitutionnelle[2]. Sous sa Présidence, en 1991, l’article 163 du Code pénal interdisant l’instrumentalisation politique de la religion a été supprimé. Le budget du ministère des Cultes a été multiplié par deux sous les gouvernements Özal. A cette époque, les maisons d’édition, la presse se revendiquant de l’islam, en particulier Zaman (proche des Fethullacï), les chaînes de radio et de télévision proches des cemaats, se sont développées.

Le coup d’Etat de 1980 a été incomparablement plus répressif que les précédents contre l’extrême-gauche, la gauche et les syndicats. Il a brisé la contestation sociale et politique de gauche, même s’il a frappé plus largement et emprisonné tous les leaders politiques, y compris Erbakan. Il a ainsi ouvert aux organisations des réseaux de cemaats le monopole de l’encadrement des migrants. L’émigration rurale n’a pas cessé. En 2000, 65% des Turcs habitent en ville, dans des conditions de précarité et d’illégalité qu’on devine puisque, par exemple, 70% des habitants d’Ankara dans les années 80 habitaient des gecekondu. Pour ces migrants, les mosquées représentaient les repères et les réseaux professionnels ou de quartier (hemserilik) se superposaient aux réseaux religieux qui accueillaient en outre, dans leurs foyers, les jeunes en formation issus des campagnes.

Les idées nouvelles des cemaats s’adaptaient à cette mission. Les Nakshibendi du courant d’Iskender-Pacha (Cheikh Kotku et Esad Cochan) étaient partisans de l’islamisation graduelle par en bas et faisaient passer la "technique" avant l’ascèse, en invitant les musulmans à "chevaucher le tigre" pour islamiser la modernité. Le courant de la mosquée d’Erenköy, animé par Mahmut Sami Ramazanoglu, a attiré nombre de professeurs, de journalistes, d’hommes d’affaires, surtout quand Musa Topbash et son fils Osman ont pris la direction de l’ordre. Les Süleymancï, le groupe qui compte le plus d’adeptes en Turquie et en Allemagne, ont joué un grand rôle. Les Nurcus étaient particulièrement bien placés pour encadrer les nouveaux migrants, surtout leur aile la plus moderniste, celle des partisans de Fethullah Gülen.

L’Armée a exercé sa tutelle sur la société en reconstruisant elle-même le paysage politique. Les anciens partis sont restés interdits. Ont été formés un parti de centre droit et un parti de centre gauche dirigés par d’anciens militaires. Mais l’Armée n’a pas pu ne pas autoriser le parti créé par le "magicien de l’économie", Turgut Özal, l’A.N.A.P., qui l’a emporté de façon écrasante. Les Turcs ont plébiscité le seul parti vraiment civil, mais l’A.N.A.P. l’emporte encore en 1987 après recomposition du paysage politique antérieur. Aux élections de 1991, c’est le parti dirigé par M. Demirel, le Parti de la Juste Voie (D.Y.P.) qui l’emporte, mais l’A.N.A.P. reste à un niveau très élevé sous la direction de M. Yïlmaz, Turgut Özal étant devenu Président de la République. Ces élections ont montré que le parti islamique d’Erbakan, le Refah (Parti de la Prospérité), a obtenu un bon score et surtout qu’il a beaucoup progressé dans l’électorat urbain, alors qu’avant le coup d’Etat de 1980, le P.S.N. était un parti anatolien et plutôt rural. Il commençait à capitaliser à partir du militantisme de proximité qu’il déployait parmi les migrants. Mais l’électorat pieux, comme d’ailleurs les animateurs de cemaats, partageaient leurs soutiens. Bien qu’il soit, paraît-il, franc-maçon et kémaliste, Demirel était encore soutenu par certains courants musulmans et l’A.N.A.P. plus encore. Demirel a choisi de gouverner en coalition avec le Parti social-démocrate. L’expérience a été décevante. Ce gouvernement s’est englué dans la guerre au Kurdistan, n’a mené aucune des réformes promises, ni osé se départir d’un discours officiel confit dans le kémalisme. Il en alla de même après la mort d’Özal et l’élection de Demirel à la Présidence, sous la direction de Madame Tansu Çiller, mais avec un processus croissant de pourrissement affairiste qui touchait aussi l’A.N.A.P. Le Refah a profité de cette désagrégation aux élections municipales de 1994. Capitalisant son militantisme auprès des migrants, le Refah l’a emporté dans nombre de villes, notamment à Istanbul, sous la direction de Recep Tayyip Erdogan et à Ankara. Les maires Refah des grandes villes démontrèrent leurs capacités de gestionnaires, leur modernisme et leur relative modération. Ce succès est confirmé aux élections législatives de 1995, lors desquelles les trois partis de droite obtiennent autour de 21% chacun, avec un léger avantage pour le Refah. Il a été décidé de former un gouvernement de coalition D.Y.P-A.N.A.P. Mais Madame Çiller finit vite par accepter de participer à un gouvernement dirigé par Erbakan, à la condition que le Refah ne vote pas la levée de son immunité parlementaire. Pour la première fois dans la République, un parti anti-kémaliste se réclamant de l’islam dirigeait le gouvernement.

Ingénieur de formation et disciple de Koktu, Necmettin Erbakan est devenu célèbre en étant élu (1968) à la tête de l’Union des chambres de Commerce et d’Industrie, soutenu par les petits commerçants et artisans d’Anatolie, contre les candidats des milieux d’affaires urbains occidentalistes. Il défendait ce que les Turcs appellent "Edep", code de conduite et de bienséance inspiré du Coran, des codes d’honneur des anciennes corporations (esnaf) et de la "futuwa" soufie. Il a fondé en 1970 le Parti de l’Ordre National, dissous en 1971, et fut contraint à l’exil en Suisse.

A la place des symboles proprement religieux figuraient l’ordre moral, les valeurs nationales et spirituelles, le respect des traditions. Erbakan distingue en Turquie "trois idéologies" (Görüs): le libéralisme incarné par Demirel, maçon, occidentaliste et manipulé d’après lui par le sionisme, le socialisme (Ecevit) et l’"idéologie nationale" qu’il défendait. Il crée plus tard en Allemagne le Milli Görus (idéologie nationale) qui bénéficiera des libertés européennes, avant de développer des journaux et des radios vers la Turquie et de représenter une source financière considérable. Ce parti prétendait ne pas s’opposer à la laïcité mais critiquait sa conception turque, utilisée comme un moyen de pression sur les croyants au lieu de garantir la liberté religieuse, et il voulait "libérer l’école de la sociologie de Durkheim".

En 1972, Erbakan fonde le Parti du Salut National (P.S.N.) qui précise que la Turquie pourrait être dirigée par la charia, mais à cette condition – qui change tout et va contre la radicalité – que seul le Parlement en décide. Défendant les valeurs traditionnelles d’Anatolie, ce parti est pourtant moderniste, favorable à l’industrialisation, au développement des infrastructures, à la formation technique. Il était d’ailleurs largement dirigé par des ingénieurs. Mais il n’est pas libéral, à la différence de ce que sera l’A.K.P. Il se réclame d’une forme de l’Etat-Providence, de la lutte contre la pauvreté au nom de l’"ordre juste". Il est résolument contre l’Europe "club chrétien", donc très opposé à la politique de Turgut Özal, et prône l’organisation d’un marché commun musulman.

Son expérience de Premier Ministre a été désastreuse. Commencé bien avant, ce pourrissement affairiste et dans les eaux troubles des liens entre les forces de l’ordre et les mafias dans la guerre au Kurdistan, ses assassinats et ses horreurs, s’est poursuivi, manifesté notamment par l’affaire dite de Süsürlük. Tansu Çiller et ses proches ont été profondément atteints par le scandale et Yïlmaz fut plus tard poursuivi pour ses relations avec un mafieux recherché par toutes les polices du monde. Erbakan n’était pas concerné mais l’alliance de l’ordre moral avec cette pourriture caractérisait l’incohérence de ce gouvernement. Erbakan n’a pas osé s’opposer aux bonnes relations avec Israël, qui ont débouché sur un accord de coopération stratégique – en particulier parce que l’Armée en avait besoin –, ni s’en prendre aux négociations sur l’Union Douanière avec l’Europe. Sa perspective d’un marché commun musulman s’est heurtée, lors d’un voyage en Libye, à une critique publique humiliante par Kadhafi, puis à un refus de le rencontrer assorti d’une colère de Moubarak, parce qu’Erbakan avait d’abord rendu visite au leader des Frères Musulmans.

Il a aussi inquiété en invitant à sa résidence officielle d’Ankara les chefs de cemaats à un repas de rupture du jeûne, en voulant construire une grande mosquée sur la place Taksim, à Galata, le quartier occidental historique d’Istanbul, légaliser le port du voile à l’Université, etc. Au lieu de se terminer par un renversement parlementaire, cette expérience s’est hélas achevée par le coup d’Etat militaire dit "post-moderne" de 1997. "Post-moderne", parce qu’il a suffi d’un ultimatum imposé par le Conseil de Sécurité Nationale (M.G.K.) dominé par l’Armée pour obtenir sa démission un peu plus tard, suivie de la dissolution du Refah.

Fethullah Gülen a approuvé ce coup d’Etat en disant qu’il valait mieux construire des écoles ou des hôpitaux plutôt que des mosquées, et en précisant qu’il n’était pas favorable au voile à l’école.

Le Fazilet (le Parti de la Vertu) qui succéda au Refah avant d’être dissous à son tour, vit son audience électorale réduite en 1999 (15%).

Tous les partis ont craint des élections anticipées et préféré un gouvernement minoritaire dirigé par Ecevit. Fort de l’arrestation d’Ocalan, le chef du P.K.K. kurde, de l’effondrement électoral du D.Y.P. et de l’A.N.A.P., et du recul du Fazilet, Ecevit forme une coalition avec la droite nationaliste (M.H.P.), moins inquiétante depuis la mort de Türkesh. Ce gouvernement a obtenu le statut de candidat à l’adhésion à l’U.E. (Helsinki, 1999), en contradiction avec son orientation nationaliste; il a réalisé des réformes législatives libérales en contradiction avec ses réflexes répressifs violents. Miné par des scandales concernant ses ministres, il assuma une crise économique catastrophique en 2002, sans pouvoir profiter ultérieurement des fruits de l’assainissement radical entrepris par Kemal Dervish qui ouvrirent, mais sous le règne de l’A.K.P., une période de développement considérable et de longue durée.

 

 

III,2. – Dirigés par le charismatique Recep Tayyip Erdogan, les rénovateurs du Fazilet rompent avec Erbakan, son nouveau parti (Saadet), ses modèles et même l’islam politique, en fondant l’A.K.P. (Parti de la Justice et du Développement). Ils font un pas dans la direction de feu Özal, mais à l’envers: non pour corriger d’influences musulmanes un retour à la démocratie civile après un coup d’Etat militaire conservateur se réclamant du kémalisme, mais pour se dégager de l’islamisme et constituer un parti "démocrate conservateur", sans pour autant cacher d’où ils viennent et ce qu’ils sont (leurs femmes et filles demeurent voilées), résolument favorables à l’économie de marché, conformément aux idées des cemaats, exaltant le travail, le métier, l’esprit d’entreprise pour le bien commun de la oumma. En défenseurs des "valeurs traditionnelles", ils font cependant campagne pour l’intégration dans l’U.E., accréditent ainsi leur rupture avec Erbakan, rassemblent largement l’ensemble de la bourgeoisie, l’anatolienne et l’occidentale, et se réfèrent au modèle de la C.D.U. d’Adenauer. Ils supplantent tous les partis de centre droit qui ne franchissent pas les 10% nécessaires pour être représentés et réalisent 34% des voix (Saadet, 3,5%).

Au cours de leur première législature très prospère, malgré deux tentatives de coup d’Etat militaire avortées, l’A.K.P. s’est servi des exigences de l’U.E. pour s’en prendre à la tutelle de l’Armée. Le M.G.K. ne délivre plus de recommandations obligatoires et les militaires n’en fixent plus l’ordre du jour. L’éducation est prise en main en profondeur, les programmes d’histoire et de sciences sociales alignés davantage sur le versant ottoman de la synthèse "turco-ottomane"; le "créationnisme" est élevé au rang d’hypothèse scientifique, au même titre que l’évolutionnisme banni du primaire.

Les adversaires de l’A.K.P. critiquent les Européens en prétendant que ce parti instrumentalise l’Europe pour développer ce qu’ils appellent "l’agenda islamique caché de l’A.K.P.". Il est vrai que l’A.K.P. cherche à vider la laïcité de sa substance au nom de la liberté, mais l’U.E. ne se prête pas à ce jeu. En 2004, elle a fait pression pour que la criminalisation de l’adultère soit écartée de la réforme (libérale) du code pénal. La bataille du voile a été reprise au nom du droit des femmes à le porter, surtout après un dîner à la Maison Blanche d’Erdogan accompagné par son épouse voilée, ce que le protocole républicain turc interdit. Mais la C.E.D.H. a rejeté (2005) le recours de Leyla Shahin sanctionnée pour avoir refusé de retirer son voile en faculté de médecine. La proximité de l’élection présidentielle (2007) a mis le feu aux poudres, le Président conservant des pouvoirs importants de nomination dans la magistrature et la haute fonction publique, alors que l’A.K.P. disposait de la majorité requise pour faire élire Abdullah Gül. L’Armée a lancé un ultimatum au nom de la laïcité à la manière du coup d’Etat "post-moderne" de 1977, suivi de très grandes manifestations civiles. Le P.R.P. et le M.H.P. ont boycotté l’élection par deux fois pour qu’elle ne soit pas valable, non faute de majorité, mais faute de quorum à l’Assemblée; ce qui a conduit la majorité à voter pour l’élection au suffrage universel direct, réforme bloquée par le veto du Président sortant. Pour en sortir, l’Assemblée a été dissoute et l’A.K.P. plébiscité par les électeurs (47% de voix). M. Gül a été élu; la réforme adoptée pour l’avenir, malgré de nouveaux ultimatums menaçants de l’Armée. L’adoption d’une loi autorisant le voile à l’Université suscite une nouvelle crise. La Cour Constitutionnelle est saisie et le procureur exige la dissolution de l’A.K.P. et la privation de leurs droits civiques de ses leaders, y compris le Président. La Cour reconnaît le bien-fondé de l’accusation, mais il manque une voix pour imposer la sanction. L’U.E. a probablement fait pression pour qu’il en soit ainsi. La guérilla continue avec l’establishment militaire et judiciaire, marquée par des arrestations de nombreux officiers dans l’affaire du complot "ergenekon", qui n’est pas une invention, mais dont la réalité est sans doute beaucoup plus limitée. Cette guérilla est ponctuée par un référendum constituant favorable à l’A.K.P., suivi d’une nouvelle victoire aux législatives, même si elle ne suffit pas à l’A.K.P. pour imposer seul une nouvelle constitution.

 

La Turquie a changé. Dans les années 1960, on n’aurait jamais imaginé les rives de la Marmara à Istanbul investies chaque beau week-end par des milliers de familles dont les femmes "enfoulardées" cuisinent sur des barbecues, transportées par un réseau en plein essor de tramway et de métros rutilants réalisé par la municipalité A.K.P., sur des pelouses impeccables et fleuries à proximité de grands immeubles qui ont remplacé les immondices et terrains vagues mités de masures. Reflet de l’exode rural et du triomphe A.K.P.

Le probable rejet européen de la candidature turque à l’U.E., malgré cinq réaffirmations antérieures par les Européens de la vocation européenne de la Turquie, n’a pas infléchi le choix démocratique de l’A.K.P., dont la future constitution conservera sûrement la laïcité et même le contrôle de la religion par le diyanet (pour éviter le radicalisme islamique), ni l’essor économique impressionnant. Par contre, il a légitimé une politique spectaculairement tournée vers le monde arabo-islamique, y compris pour contester la politique israélienne à Gaza; si bien que la Turquie fait figure de modèle pour les "révolutions arabes".

La laïcité devrait sortir confortée de cette évolution; à la condition qu’il existe aussi une alternative plus laïque de gouvernement, susceptible d’assurer l’alternance. Or, celle-ci n’existe plus aujourd’hui. Le P.R.P. s’est fossilisé; il a abandonné son évolution social-démocrate des années 1970 pour un nationalisme méfiant à l’égard de l’Europe. Tel quel, il ne paraît plus crédible, ni porteur de progrès social, ni d’un approfondissement de la démocratie et de la laïcité.

 

 



 

[I contributi della sezione “Memorie” sono stati oggetto di valutazione da parte dei promotori e del Comitato scientifico del Colloquio internazionale, d’intesa con la direzione di Diritto @ Storia].

 

[Testo della relazione svolta al Colloquio internazionale La laicità nella costruzione dell’Europa. Dualità del potere e neutralità religiosa, svoltosi in Bari il 4-5 novembre 2010 per iniziativa della Facoltà di Giurisprudenza dell’Università di Bari “Aldo Moro”, del Centre d’études internationales sur la romanité Université de La Rochelle e dell’Unità di ricerca “Giorgio La Pira” CNR – Università di Roma “La Sapienza”]

 

[1] Cette opposition entre parti "exclusionnaire" et parti "révolutionnaire" est empruntée à S. Huntington, "Social and institutional Dynamics of One Party System", dans S. Huntington, C. Moore (éd.), Authoritarian Politics in Modern Society, New York, 1970, 3-47.

 

[2] La Cour constitutionnelle n’a pas invoqué la laïcité pour annuler la loi, mais le "code vestimentaire" d’Atatürk et le fait qu’il s’agit «d’habits anti-modernes, ne correspondant pas à une attitude libre et autonome». Le diyanet, à l’époque, avait pris la position contraire.